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Sous le vernis de la stabilité, le lent glissement de l’Italie de Meloni

Publié le 28 juillet 2025
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Italie
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Depuis son arrivée au pouvoir en octobre 2022, Giorgia Meloni n’a cessé d’afficher une image de stabilité, d’ordre et de pragmatisme. Pourtant, après mille jours à la tête de l’Italie – un exploit dans ce pays où les gouvernements tombent régulièrement les uns après les autres – c’est un autre tableau qui se dessine : celui d’une démocratie parlementaire qui glisse lentement mais sûrement vers une forme d’autoritarisme feutré et de populisme assumé, maquillé par la respectabilité diplomatique, et des résultats économiques mitigés.

Depuis son arrivée au Palazzo Chigi en octobre 2022, Giorgia Meloni prétend incarner une Italie qui se redresse, qui gouverne “fermement mais justement”, qui redonne “de la dignité” au pays. Mais de quel redressement, de quelle justice et de quelle dignité parle-t-on exactement ?

Sur le plan économique, le redressement mérite d’être tempéré. Le FMI prévoit une croissance du PIB  de 0,4% cette année, contre 0,7% en 2024 et 4,7% en 2022. Le déficit, lui, a certes fondu (7,2% du PIB en 2023, 3,4% en 2024), grâce notamment à une maîtrise des dépenses publiques et surtout à la suppression de l’avantage fiscal destiné aux travaux énergétiques appelé le «  Superbonus », mais la dette italienne reste élevée : près de 3 000 milliards d’euros, soir le deuxième plus important de la zone euro. Il est important aussi de préciser que l’économie italienne est en partie soutenue par les investissements dans les infrastructures publiques et l’argent du plan de relance européen. Elle a su néanmoins évoluer pour devenir aujourd’hui le 4ème exportateur mondial, devant la France. Le chômage, lui, est en recul (7,8% en 2022 contre 6% aujourd’hui), mais le marché du travail garde de grandes faiblesses et reste supporté en partie par le tissu industriel du Nord.

Plus globalement, Giorgia Meloni et sa coalition n’ont pas profité de cette relative embellie, rendue possible également grâce aux décisions engagées avant son arrivée, pour lancer les réformes structurelles attendues qui permettraient à l’Italie de poursuivre sur cette dynamique.

L’Europe, parfois tristement fascinée par sa “discipline budgétaire” ou sa posture “pro-Ukraine”, ferme les yeux sur ce qui se trouve derrière : régression des droits, autoritarisme, invectives, et, au final, recul de la démocratie.

Certes, la cheffe de Fratelli d’Italia a su imposer un semblant de cohésion, dans une coalition historiquement instable. Cette union, toutefois de plus en plus fragilisée et impopulaire, s’est aussi construite en affaiblissant les contre-pouvoirs. La réforme constitutionnelle pour faire élire le chef du gouvernement au suffrage universel direct — le premierato — a le mérite de tenter de résoudre l’instabilité chronique dans le pays, mais a comme revers de la médaille une concentration du pouvoir exécutif aux dépens du Parlement.

Côté justice sociale, le bilan est accablant. Le reddito di cittadinanza (revenu minimum) a été supprimé pour des centaines de milliers de familles. L’emploi des femmes reste l’un des plus faibles d’Europe, avec un taux de 56,5 %. L’accès à l’IVG est toujours entravé dans plusieurs régions où jusqu’à 80 % des médecins sont objecteurs. Et le gouvernement combat activement la reconnaissance des familles homoparentales, jusqu’à effacer des actes de naissance les noms des deux mères ou pères.

Les projets de crèches, initialement prévus pour accueillir 264 000 enfants, ne devraient en réalité ne concerne qu’à peine 147 000. Pendant ce temps, la natalité continue de reculer, et l’emploi des femmes reste bien inférieur à la moyenne européenne.

Dans les médias publics, la reprise en main est manifeste. La direction de la RAI a évincé plusieurs figures critiques, comme l’écrivain Roberto Saviano, dont l’émission a été déprogrammée avant même sa diffusion, et masque difficilement certaines des nominations plus «  alignées » avec la ligne éditoriale au pouvoir.

Sur le terrain migratoire, thème de campagne et d’expression préféré de la cheffe du gouvernement italien, la ligne Meloni est marquée par le durcissement, plébiscité, disons-le, par une bonne partie de la population. Les décrets Piantedosi et Cutro ont restreint drastiquement l’action des ONG en mer. Conséquence directe, selon l’Organisation internationale pour les migrations, une hausse du nombre de morts en mer, s’élevant à 2 600 en 2023.

Alors non, Giorgia Meloni n’a pas sauvé l’Italie. Elle a imposé un pouvoir dur, conservateur, autoritaire, qui avance en se dissimulant et communiquant habilement. L’Europe, parfois tristement fascinée par sa “discipline budgétaire” ou sa posture “pro-Ukraine”, ferme les yeux sur ce qui se trouve derrière : régression des droits, autoritarisme, invectives, et, au final, recul de la démocratie.

Ce qui se joue en Italie dépasse ses frontières. Après Orbán et Kaczyński, c’est une nouvelle version de la démocratie illibérale qui se dessine : plus subtile, plus compatible avec les codes de Bruxelles, mais tout aussi préoccupante. Si l’on continue à considérer Meloni comme une dirigeante comme les autres, nous risquons de nous réveiller dans une démocratie vidée de son essence.

Face à cela, notre responsabilité est claire : dénoncer, déconstruire, résister, car ce qui s’expérimente en Italie aujourd’hui pourrait devenir la norme ailleurs demain. L’autoritarisme ne tombe jamais d’un coup : il s’installe, et s’achète souvent une respectabilité sur les ruines du progrès social.

 

L’équipe de La République en Commun