Des millions de jeunes Européens ont pu, grâce à elle, étudier dans d’autres pays du continent. Des amitiés se sont tissées, des vocations sont nées, des destins se sont croisés. Sofia Corradi, celle que l’on surnommait affectueusement « Mamma Erasmus », est décédée le 17 octobre – l’un des six jours du « Erasmus Day » – à l’âge de 91 ans.
Erasmus, c’est l’un des programmes les plus emblématiques de l’Union européenne. Un symbole d’ouverture et de jeunesse, qui a changé la vie de générations entières depuis sa création en 1987. À son origine, la persévérance d’une femme : l’Italienne Sofia Corradi.
Tout commence dans les années 1960, quand Sofia Corradi, jeune professeure, revient dans son pays après avoir obtenu une maîtrise en droit à l’université Columbia de New York. Son diplôme américain n’est pas reconnu par le système éducatif italien. De cette frustration naît une idée révolutionnaire : permettre aux étudiants d’Europe de faire valoir leurs études au-delà des frontières. Cette idée deviendra le projet de sa vie.
Convaincre les institutions européennes n’a pas été simple. Mais après avoir obtenu – une seconde fois – son diplôme et être devenue juriste, après des années de plaidoyer, après avoir rédigé de nombreux mémorandums, le Conseil européen lance le programme Erasmus en 1987. La vision de Corradi prend alors forme : créer une génération de jeunes capables de se comprendre par-delà les différences culturelles, politiques et linguistiques. C’est le EuRopean Action Scheme for the Mobility of University Students. En un mot : Erasmus*.
Plus de 16 millions d’étudiants ont depuis bénéficié de ce programme à travers toute l’Europe. La moitié de ces mobilités a été réalisée au cours des dix dernières années. Plus qu’une simple reconnaissance académique, Erasmus est devenu un formidable accélérateur de vie : apprentissage de nouvelles langues, découvertes culturelles, réseaux d’amitiés et parfois même histoires d’amour qui traversent les frontières, racontées par les personnages du film devenu culte « L’Auberge Espagnole » de Cédric Klapisch en 2002 : « Je suis français, espagnol, anglais, danois. Je suis comme l’Europe : je suis tout ça. »
Sofia Corradi aimait rappeler que son ambition était de « rendre la mobilité évidente ». Selon elle, « si l’étudiant sait quoi suivre, qui signer, combien de crédits, alors il peut apprendre à vivre ailleurs ». Son rêve, qu’elle qualifiait de « mission pacifiste personnelle » dans le contexte de la guerre froide, s’est transformé en un rite de passage européen.
Aujourd’hui, 33 pays participent au programme Erasmus. La France était d’ailleurs en 2024 le premier pays d’envoi d’étudiants en Erasmus+.
Faire vivre le rêve de « Mamma Erasmus », c’est affirmer que l’éducation et la mobilité restent les piliers d’une Europe de la paix, de la tolérance et du dialogue. C’est rappeler qu’apprendre ailleurs, c’est aussi apprendre à mieux se connaître.
Sofia Corradi nous laisse en héritage l’une des plus belles réussites de la construction européenne. À nous de poursuivre son œuvre, pour que chaque jeune Européen ait la chance, à son tour, de vivre l’expérience de « L’Auberge Espagnole » (pas forcément à Barcelone !) et de franchir les frontières de la connaissance.
L’équipe de La République en Commun
*Le nom du programme Erasmus fait référence à Erasme de Rotterdam, théologien et humaniste, qui aspirait à une Europe en paix, unie au-delà des frontières.