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« La grande cause nationale santé mentale doit se traduire concrètement au plus vite »

Publié le 16 mai 2025
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Sante-mentale
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Présidente de la commission Santé à la Région Occitanie, Julie Vergnet-Delalonde est directrice de l’Offre de Soins au CHU de Nîmes, dans le Gard. Elle répond à nos questions sur la grave problématique de la santé mentale, déclarée grande cause nationale 2025.

La santé mentale a été décrétée grande cause nationale 2025 par le gouvernement. Est-ce justifié ou cela vient -il trop tard ?

Oui c’est justifié et non il n’est jamais trop tard ! C’est même justifié parce que c’est le «  bon moment » pour engager des actions tangibles au bénéfice de la santé mentale de la population. En effet, si les problématiques de santé mentale ne sont pas nouvelles, c’est la prise de conscience qu’elles existent – et dans de telles envergures – qui est nouvelle et donc propice à des résultats positifs pour peu qu’on y mette les moyens. En revanche, toujours en termes de temporalité, la fenêtre est désormais étroite car les effets d’annonce de la Santé mentale grande cause Nationale 2025 doivent impérativement et rapidement être suivis de faits concrets. Cette grande cause nationale suscite un grand espoir et une grande motivation à agir grâce aux moyens octroyés, tant chez les professionnels de la santé mentale que chez les associations d’usagers et patients qui se battent depuis de nombreuses années pour ne pas être oubliés et semblent aujourd’hui être reconnus et entendus par le grand public.

Mais nous sommes déjà au mois de mai 2025 et ces personnes engagées et motivées n’ont pas encore perçu la traduction concrète de la volonté politique pourtant affichée par le Gouvernement. Il y a désormais urgence à déployer des solutions palpables et suffisantes pour ne pas tomber dans l’écueil contreproductif du découragement.

Il ne faut pas éluder le phénomène sociétal du changement du rapport au travail et de la moindre tolérance à la pénibilité.
Julie VERGNET-DELALONDE

De plus en plus de soignants souffrent de troubles mentaux ou psychiques. Un soignant sur trois dit avoir souffert de burn-out. Comment en est-on arrivé là ?

La prévalence des troubles psychiques au sein la population générale avoisine les 20% depuis des années (la problématique est ancienne et antérieure à la dernière crise sanitaire) et les soignants font partie intégrante de cette population. Par ailleurs, il ne faut pas éluder le phénomène sociétal du changement du rapport au travail et de la moindre tolérance à la pénibilité.

Ce constat ne constitue pas une critique et le changement du rapport au travail est plutôt sain dans le sens d’un rééquilibrage entre vie professionnelle et vie privée car il aura un impact positif sur l’état de santé (mentale y compris) des travailleurs et donc sur la qualité de leur travail. A contrario et en parallèle, il faut enrayer les discours misérabilistes et le recours plus systématique et facile à la plainte quant à certaines conditions de travail qui se sont pourtant globalement améliorées ces dernières décennies. Car ces récits négatifs, mêmes justifiés, alimentent le cercle vicieux du malheur au travail.

Force est de constater que la prévalence des troubles psychiques au sein de la population soignante est légèrement majorée. Les facteurs sont nombreux et complexes qui peuvent expliquer cet état de fait comme par exemple, la double « pression » psychologique émanant traditionnellement des organisations employeurs mais aussi du public accueilli, majoritairement vulnérable et parfois agressif. Ecoute, soutien et accompagnement, collectifs et individuels, sont les principaux remparts contre cette dérive des temps modernes.

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) vient d’alerter sur l’état de la psychiatrie : un manque de soignants, des bâtiments délabrés, des lits d’hospitalisation fermés, des délais d’attente jusqu’à 18 mois pour obtenir un rendez-vous. Chaque année un peu moins de 10% des Français souffrent d’une dépression, il faut une réforme urgente, plaide le Comité d’éthique. Que préconiseriez-vous ?

Il convient d’abord de bien distinguer la santé mentale de la psychiatrie, la seconde étant partie de la première et même une partie limitée bien que nécessaire. Et ce sont les moyens dédiés à la santé mentale dans son entièreté qui font défaut aujourd’hui. Cette pénurie globale, y compris de médecins traitants, a conduit il est vrai à une aggravation de l’état de santé mentale général de la population. Les situations individuelles prises en charge par la psychiatrie sont par conséquent plus nombreuses et souvent plus dégradées générant les dommages collatéraux que vous évoquez tel que le délai d’attente qui constitue lui-même une circonstance aggravante.

lors comment s’extraire de cette spirale infernale ? S’il faut assurément injecter des moyens nouveaux, humains et matériels dans la psychiatrie, cet octroi doit impérativement être sous-tendu par des projets pour ne pas alimenter un potentiel « puits sans fond ». Et les idées sont nombreuses sur le terrain pour mieux soigner, notamment dans le cadre de l’intervention précoce. Le premier levier à activer c’est donc l’accompagnement des médecins et des soignants dans la construction de leurs initiatives pour les déployer en projets médicaux innovants et opérationnels au bénéfice direct des patients. Cette méthode s’inscrit par ailleurs dans le concept « gagnant-gagnant » car elle valorise le potentiel et le travail des professionnels de la santé mentale. On passe alors du cercle vicieux au cercle vertueux.