Tribunes

Bernard Cazeneuve : « Redresser les comptes sans briser la nation »

Publié le 20 juillet 2025
Partager
Bernard-CAZENEUVE
Partager

Tribune de Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre, publiée dans La Tribune Dimanche 

La situation de nos finances publiques est grave. Ne rien faire reviendrait à abandonner non seulement notre souveraineté économique, mais aussi notre devoir envers les plus vulnérables. C’est notre liberté collective de décider, d’investir et de porter une vision d’avenir qui se trouve aujourd’hui menacée.

Pendant ce temps, nos services publics se dégradent. Non par la faute des agents, investis et dévoués, mais parce que l’État a trop souvent renoncé à croire en lui-même et oublié d’investir pour se moderniser.

Agir est indispensable. Encore faut-il partir d’un bon diagnostic. De ce point de vue, deux réalités s’imposent à nous.

La première, c’est l’échec de la stratégie menée depuis 2017. Une politique de l’offre poussée à l’extrême, sans ciblage ni ­conditionnalité, au nom d’une efficacité jamais évaluée. Une vieille méfiance à l’égard de l’action publique, accompagnée de dépenses fiscales injustifiées, a orienté des choix injustes et ­inefficaces. Lubies et lobbies ont découragé une dépense publique pertinente, et les baisses d’impôts n’ont ruisselé que sur les déficits, contribuant à accroître de 70 % une dette qui atteint 3.  200 milliards d’euros, sans relance durable.

La seconde réalité est notre dépendance croissante aux marchés. En 2025, le déficit public atteindra 5,4 % du PIB. L’État prévoit d’emprunter environ 300 milliards d’euros, soit l’équivalent de ses recettes nettes. À force de vivre à crédit, la France devient locataire de sa propre souveraineté. Si nous ne réagissons pas, le coût de notre dette continuera d’augmenter, aggravant notre vulnérabilité.

Nous avons déjà restauré, par le passé, notre crédibilité financière. En 2012, alors que l’écart avec l’Allemagne augmentait, nous avons engagé un redressement sans briser la croissance. Préserver la confiance des créanciers n’est pas une concession à la finance, mais le respect du pacte qui lie une nation moderne à ses investisseurs internationaux.

L’effort doit s’inscrire dans la durée, être soutenu et donc soutenable. Il doit rester acceptable pour le pays, supportable pour l’économie. Deux écueils doivent être évités  : la graphomanie fiscale qui empile des impôts irréalistes, et la fuite en avant malthusienne fondée sur des mesures ponctuelles et récessives.

Or le plan annoncé par le gouvernement semble céder à ces facilités. Il recycle les mesures budgétaires classiques de la droite en difficulté, lorsqu’elle se trouve confrontée à ses propres angles morts. On retrouve ainsi des propositions déjà faites en 1996 (abattement sur les pensions) ou sous le gouvernement ­Fillon en 2007 (franchise médicale, non-remplacement des fonctionnaires). L’« année blanche », le gel du barème fiscal et des dépenses étaient déjà dans le plan Fillon de 2011. Le triplement de la journée de solidarité, sans compensation, constitue une forme moderne de la corvée visant les plus modestes.

À cela s’ajoute une manipulation idéologique  : le gouvernement prétend que les ­Français travaillent moins que les Allemands. C’est inexact. Selon Eurostat, les actifs français travaillent 35,8 heures par semaine en 2024, contre 33,9 heures pour les Allemands. Le vrai problème est le taux d’emploi, en particulier des jeunes et des seniors. Les jeunes Français mettent plus de temps à s’insérer  : deux ans après leurs études, ceux sortis à 18 ans affichent un taux d’emploi inférieur de 15 points à celui des Allemands, et de 30 points à celui des ­Britanniques. Le défi est d’abord social  : il n’est pas de travailler davantage, mais de permettre à plus de personnes de travailler.

Par ailleurs, les mesures annoncées pèseront sur la consommation alors que la croissance est faible. Les coupes dans les budgets publics affecteront certainement l’investissement avec un effet récessif similaire. Quant aux ­économies annoncées (opérateurs, lutte contre la fraude), leur rendement est plus qu’incertain. Les réformes structurelles urgentes demeurent absentes. Neuf des 43 milliards annoncés ressemblent davantage à une ligne de foi qu’à une ligne budgétaire.

Au total, ce plan injuste et récessif repose sur des chiffres artificiels. Soyons clairs  : même appliqué intégralement, il ne ramènera pas le déficit 2026 au niveau affiché. Tant s’en faut.

Trois exigences doivent structurer notre démarche : la crédibilité pour éviter l’asphyxie financière  ; l’équité pour ne pas faire porter l’effort essentiellement sur les plus vulnérables  ; et ­l’efficacité pour abandonner les politiques ­inefficaces.

Crédibilité d’abord. Un ajustement brutal, c’est la récession assurée, le service public affaibli, la croissance étranglée. Il faut un effort sincère, pluriannuel et soutenable, construit sur des réformes structurelles réelles. C’est ce qu’avait permis le plan Rueff-Armand au début de la Ve République  : une vision, une méthode, un objectif commun.

Équité ensuite. On ne peut demander aux seuls actifs ou aux plus modestes de porter l’effort. Il est économiquement rationnel et moralement juste que les ménages les plus aisés, avec une forte propension à épargner, contribuent davantage. Les retraités dont la capacité contributive est la plus forte peuvent participer à l’effort, à condition de sanctuariser l’indexation automatique des petites pensions au moins au niveau du smic.

Efficacité enfin. Certaines dépenses doivent être réévaluées voire arrêtées  : service national universel, pass Culture… Cessons par ailleurs la politique des Shadoks, compensant par de nouvelles dépenses les effets pervers de nos propres réglementations. Modernisons ­l’Administration en valorisant les compétences des agents publics et les nouvelles technologies quand elles sont utiles. Parler d’effectifs ne doit pas être tabou, à condition de viser l’efficacité réelle, pas l’affichage.

Le redressement budgétaire, même exigeant, peut être accessible et juste. Et aujourd’hui, nous devons choisir : prolonger les erreurs ou ouvrir une voie nouvelle. Cette voie existe. Elle repose sur la vérité des faits, le refus des facilités et l’ambition d’un État efficace, juste et ­visionnaire.

Lire la tribune sur LaTribuneDimanche.fr