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« Nous aurions tort de dire Le Chili c’est loin »

Publié le 18 décembre 2025
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Trente ans après la chute de Pinochet, un admirateur du dictateur a remporté les élections présidentielle au Chili, et accède au pouvoir à Santiago du Chili. Une victoire qui confirme la poussée de l’extrême droite sur le continent américain. Mais nous aurions tort de penser et de dire : « Le Chili, c’est loin… ».

Fils de nazi exfiltré au Chili en 1945, admirateur de Pinochet, ultralibéral en économie, ultraconservateur sur les sujets de société, opposé à l’avortement même en cas de viol, partisan de la libéralisation de la vente d’armes et du droit à la vengeance personnelle, anti-immigrés… Voilà les sinistres attributs de José-Antonio Kast, 59 ans, le nouveau président du Chili. Candidat de l’extrême droite, il a été élu avec près de 59% face à la candidate communiste, Jeannette Jara.

Son programme s’est résumé à deux promesses : restaurer l’autorité et la tradition, expulser les migrants « qui volent les emplois ». Il y ajoute une forte dose de libéralisme « made in Trump » : coupes massives dans les services publics, barrières douanières, criminalisation de l’IVG, suppression d’aides sociales et de services publics… Le président des Etats-Unis et l’ultraconservateur argentin Javier Milei ont d’ailleurs été les premiers à le féliciter…

Ce résultat nous sidère quand on sait ce que fut le Chili de Pinochet : assassinats, tortures, violation des droits de l’homme, enrichissement d’une caste, libéralisme effréné qui a creusé les inégalités et plongé des milliers de foyers de ce pays prospère dans la pauvreté (voir encadré).

Trente-cinq ans après la « semi-destitution » du dictateur Pinochet, 20 ans après son décès, la démocratie a perdu dans les urnes du Chili.

Elle a perdu parce que la mémoire est un remède qui se périme si on ne prend pas soin de l’enseigner. Dans les programmes scolaires, dans la culture populaire, dans les médias, les exactions et forfaitures de Pinochet ne sont pas clairement exposées à la population, encore moins à la jeunesse. L’ancien dictateur n’a jamais été jugé pour les crimes pourtant documentés par l’ONU. Les cadres de l’armée et de ses gouvernements n’ont pas été inquiétés en dehors de quelques sous-fifres.

Elle a perdu face aux contrevérités assénées sur les réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu contrôlées par les partisans de l’extrême droite et financées par des milliardaires. Les partis démocratiques n’ont pas mis en place les outils judiciaires et médiatiques pour rétablir et défendre la science, les vérités, une information fiable et sûre.

Elle a perdu parce que les partis de l’arc républicain n’ont pas su raviver l’espoir : la gauche n’est pas allée au bout des réformes scolaires et sociales. La droite s’est enferrée à courir après l’extrême droite sur l’insécurité (pas sur l’immigration, qu’elle a encouragée notamment depuis le Venezuela) et s’est enfermée dans des guerres d’ego. En résumé, l’après-Pinochet n’a pas mis un terme aux inégalités, n’a pas fait émerger une classe politique proche du peuple comme l’attendaient les Chiliens.

Elle a perdu parce qu’elle n’a pas répondu aux angoisses des habitants sur l’insécurité mais aussi le coût des études supérieures, l’accès à des soins de qualité, les difficultés à joindre les deux bouts dès le 10 du mois.

Elle a perdu parce que les gouvernements de droite ont gouverné pour les quartiers bourgeois de Santiago et Valparaiso et ceux de gauche pour les faubourgs de Santiago, les uns et les autres négligeant les provinces éloignées et mal raccordées à la capitale.

Elle a perdu parce que le front républicain a cédé. Face à un candidat énergique en lice pour la troisième fois et rompu aux joutes électorales, entouré d’une armada de spécialistes des réseaux sociaux et de la communication politique, la gauche a investi une candidate communiste aux méthodes de campagne dépassées. Jeannette Jara a été plombée par le bilan du président socialiste sortant, Gabriel Boric. Ce dernier n’a pas tenu sa promesse de réformer la constitution héritée de Pinochet. Elle doit aussi sa défaite au poids du passé du parti communiste chilien, à qui les partisans de Salvador Allende ont reproché tant son intransigeance que ses liens avec Moscou.

Ce résultat nous sidère quand on sait ce que fut le Chili de Pinochet : assassinats, tortures, violation des droits de l’homme, enrichissement d’une caste, libéralisme effréné qui a creusé les inégalités.

Conséquence de cette déliquescence : les jeunes, ceux qui n’ont pas connu les années de plomb ont massivement voté pour Kast, les populations des provinces en souffrance agricole et industrielle se sont abstenues ou ont voté pour l’extrême droite. Les « beaux quartiers » ont choisi le moins mauvais. Le même scénario s’est produit en Argentine, en Bolivie au Salvador avec les mêmes méthodes, les mêmes maux.

Pour la gauche européenne en proie aux assauts des ennemis de la démocratie et des libertés, le coup est rude mais il livre plusieurs enseignements.

Face à l’extrême droite, le combat est quotidien : il passe par la mémoire, par l’éducation et une action volontariste contre les fausses informations et, surtout, par la construction d’un projet juste et crédible. Face aux inégalités, la gauche doit apporter des réponses concrètes et ne pas laisser faire le marché. Face à « l’archipelisation » de la société, un projet pour faire société est indispensable.

Nous aurions tort de penser et de dire : « Le Chili, c’est loin… ».

L’équipe de La République en Commun 

 


Le Chili d’Augusto Pinochet : 17 années de terreur

11 septembre 1973. Le président socialiste du Chili Salvador Allende, démocratiquement élu deux ans plus tôt, refuse de se rendre aux généraux putschistes qui lancent l’assaut sur le Palais de la Moneda à Santiago. Il est retrouvé mort dans la résidence présidentielle. Une junte militaire commandée par le général Augusto Pinochet s’empare du pouvoir par la force, destitue le Parlement, capture plus de 18 000 personnes, les enferme dans des stades transformés en camps de concentration.

Dans les jours qui suivent, 452 sont exécutés, les autres embastillés dans des prisons sordides. Ils sont souvent envoyés aux travaux forcés dans des mines et des chantiers sans salaire pendant 10, 15 voire 20 ans. Près de 30 000 Chiliens qui avaient tenté de résister aux militaires ont dû s’exiler pour échapper à  des « caravanes de la mort » dirigées par d’anciens nazis et missionnées par la junte pour la traque des opposants.

Cette sinistre milice et la police secrète auraient tué 957 adultes et 5 enfants et fait disparaitre au moins 1 198 hommes et femmes… Les tribunaux et les rapports internationaux ont documenté ces 15 années de terreur et d’horreurs (1973-1988) après le départ de Pinochet intervenue finalement en 1990, 18 mois après un référendum de 1988 (brillamment raconté dans le film «  No » de Pablo Larrain).

Soutenu jusqu’au bout par l’administration Reagan (1980-1988) à Washington, en Europe par le pape Jean Paul II et son amie Margaret Thatcher, Pinochet s’est acheté une immunité en devenant chef des Armées puis sénateur à vie. Il a échappé aux poursuites multiples (crimes, violation des droits humains, affaires financières) jusqu’à son décès en 2005, dans son lit, à 90 ans.