La fermeture des usines et la liquidation de Brandt sont symptomatiques de la crise qui frappe de nombreux secteurs de l’industrie et de l’échec de la théorie du ruissellement mise en place par les gouvernements successifs depuis 2017. Une rupture s’impose pour mettre en place une vraie stratégie de réindustrialisation.
Dans toutes les cuisines, les salons, les buanderies de France, Brandt était une référence. Téléviseurs, lave-linge, cuisinières… Brandt, c’était aussi Vedette (et sa célèbre « mère Denis ») Sauter, de Dietrich. C’est terminé. Brandt a été placé en liquidation judiciaire ce 10 décembre 2025, 101 ans après sa création. Faute de repreneur jugé suffisamment solide par le tribunal des affaires économiques de Nanterre. Même le projet de Scop n’a pas été retenu, trop friable face à un mur de dettes. Anna, salariée depuis 28 ans dans l’usine de Vendôme témoignait dans les colonnes d’Aujourd’hui en France : « Dans nos cuisines tout l’appareillage viendra de Chine. Encore des containers, encore des ouvriers maltraités, encore des familles au chômage chez nous ».
A Vendôme, Orléans, Saint-Ouen, les usines de ce fleuron de l’électroménager made in France sont fermées, laissant sur le carreau pas moins de 750 salariés. Leur salaire ne sont assurés que jusqu’au 15 décembre, leurs congés de noël ne seront pas payés si la puissance publique ne met pas la main à la poche. Des larmes de déception et de colère ont coulé devant les braseros des ouvriers mobilisés jusqu’à la dernière heure devant leur usine. Le quotidien « La République du centre » rapportent des propos glaçants d’auditeurs des cellules psychologiques mises en place pour les familles : « Beaucoup de salariés sont chasseurs. Il faut demander à leurs familles d’enlever les fusils des maisons ».
Brandt était le dernier fabricant français de gros électroménager. Cette industrie disparaît purement et simplement de l’hexagone, décimée par la concurrence chinoise, la chute du marché immobilier (-4% de ventes), les surcoûts de l’énergie.
Brandt s’ajoute à une trop longue liste de cessations d’activité d’établissements de production depuis le mois de juillet dernier et de plans sociaux dans des groupes aussi prestigieux que Stellantis (ex-Peugeot), Michelin, MittalSteel (acier) ou Vallourec… D’autres secteurs sont également impactés : Teisseire, Bledina dans l’agroalimentaire, Valeo dans l’équipement automobile, Sanofi dans la pharmacie. Un décompte de ces pertes d’emplois dans l’industrie depuis le début de l’année établit les pertes à 9 800 postes, frappant particulièrement les régions Hauts-de-France, Grand-Est, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire… Seuls les secteurs du luxe et de l’aéronautique échappent à ce énième choc dans l’industrie manufacturière du pays.
La réindustrialisation promise par le président Macron n’est jamais arrivée.
La politique de l’offre qui s’est traduite par des baisses de cotisations supposées « créer du ruissellement » a surtout enrichi les plus riches au lieu de créer de l’investissement et de l’embauche sur le territoire. Le travail de planification n’a pas été effectué : foncier dédié aux entreprises, souveraineté énergétique pour contrôler les tarifs, développement d’une chaîne de valeur entre donneurs d’ordre et sous-traitants sur les différentes productions, prises de participation dans des industries stratégiques, investissements publics dans les domaines de la décarbonation et du numérique, protection de productions stratégiques dans le médicament, la défense ou l’alimentation, aides pour que les PME deviennent des établissements de taille intermédiaire moins dépendants des fluctuations du marché…
Au lieu de prendre le contrôle de cette réindustrialisation par toutes ces actions, les gouvernements successifs depuis 2017 ont pratiqué le laisser-faire cher aux néolibéraux. Les économistes les avaient pourtant mis en garde : l’investissement se portera d’autant moins en France que beaucoup de sociétés, à l’image de Brandt passé sous pavillon algérien en 2004, sont en réalité sous contrôle de capitaux étrangers ou boursiers. Ce laisser-faire a condamné Brandt : la proposition de reprise en Société coopérative (Scop) émise par un groupe de salariés de l’entreprise, appuyée y compris financièrement par deux Régions, par des collectivités et des acteurs locaux n’a été soutenue ni par les banques ni par le gouvernement. Comment les banques peuvent-elles être aux abonnés absents quand il s’agit d’accompagner un projet industriel vital pour un bassin d’emplois ? Comment un gouvernement peut-il manquer à ce point d’anticipation face aux crises ?
Pourtant, près de 20 millions avaient été réunis pour relancer l’activité. Le modèle coopératif a également fait ses preuves dans des cas similaires : Copland dans les Landes, Duralex à Orléans, La Chapelle d’Arblay. A chaque fois, les Régions, les intercommunalités se sont mobilisés aux côtés des porteurs de projet, des chambres de commerce, des partenaires sociaux.
En 2025, l’élection de Trump suivie de taxes et le chaos politique de la dissolution, générateur d’incertitudes pour les entreprises et provoque des réflexes d’épargne chez le consommateur, accélèrent le processus. Le marché du travail commence à peine à accuser le coup. Pour relever le pays, l’industrie doit être placée au cœur de l’action publique afin de recréer de la richesse et la partager de façon juste, de protéger nos productions, de protéger nos fleurons. Il sera indispensable d’associer dans un dialogue apaisé autour d’un Etat stratège les acteurs économiques et sociaux, les Régions en charge du développement économique, les organismes prêteurs institutionnels ou privés…
Sans cette mobilisation, d’autres usines, d’autres marques disparaîtront du paysage industriel français et laisseront des milliers de salariés sur le carreau. La gauche ne peut s’y résoudre : pour partager la richesse, il faut d’abord la créer et cela passe par une agriculture et une industrie compétitives en capacité de recruter, d’investir et animées par l’envie de faire vivre le territoire.
L’équipe de La République en Commun