Après les feux qui ont dévasté l’Aude au cours de l’été, la Région et le Département ont adopté des mesures d’aides aux populations et professionnels sinistrés. Au-delà de la protection, le maintien de l’activité et de la vie dans ces territoires méditerranéens très exposés au changement climatique demande une solidarité nationale pour construire un modèle de développement protecteur des activités et des écosystèmes.
C’est un paysage qui varie entre le gris et le noir à l’époque où, d’ordinaire, le vert des collines boisées commence à virer à l’auburn. Autour des villages, Coustouge, Jonquières, Fontjoncouse, Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, les rondes des camions de pompiers et le ballet des journalistes ont cessé. L’odeur obsédante, entre le brûlé et l’acre, se dissipe jour après jour. Les vignes, du moins celles que les flammes et les fumées du 6 août ont épargnées, ont été vendangées : les raisins rescapés ne rempliront pas les cuves. Trop chaud, trop sec, l’été. Comme les précédents. Pourtant, les maisons en lambeaux dont celle de Stella à Saint-Laurent, décédée le 6 août, ce silence laissé par la désertion des cigales et ce paysage d’arbres décharnés, de terres cendrées et de poteaux téléphoniques pliés rappellent « l’ogre des Corbières » comme l’ont nommé les pompiers pendant ces semaines de combat puis de vigilance sur plus de 16 000 hectares.
La surface de Paris vu des médias, l’étendue des dégâts vu de ce territoire au cœur de l’Aude. En réalité, les cinq feux de l’été ont ravagé pratiquement 20 000 hectares dans le département, des portes de Carcassonne aux étangs du littoral. « Mon prédécesseur Philippe Vergnes avait mis en garde contre un incendie qui emporterait tout de l’abbaye de Lagrasse à la mer. Nous n’en sommes pas loin » se désole Ludovic Roux, président de la Chambre d’agriculture. La prophétie de Philippe est dans toutes les têtes. Bien entendu la négligence ou la malveillance (l’enquête en cours privilégie cette hypothèse humaine sur le mégafeu du 6 août) jouent en quelque sorte le rôle de briquet et le vent quasi quotidien dans ce secteur, attise le moindre départ de feu. Mais l’arrachage des vignes, la disparition de l’élevage, l’absence de débroussaillement sur des parcelles dont les propriétaires ne sont parfois pas identifiés et qui a rendu la forêt anarchique, les températures caniculaires, la sécheresse chronique ont permis aux flammes d’avancer plus vite que les rotations des Canadair et de gagner des endroits difficultés d’accès. Selon le colonel Magny, commandant des pompiers de l’Aude, « le risque incendie est maximal quand on atteint la règle des trois 30 : plus de 30 degrés, moins de 30% d’humidité, du vent à plus de 30 km/h. La règle est dépassée deux semaines sur trois du 10 juin au 31 août »
« Nous étions conscients de cette fragilité. Maintenant, nous devons composer avec. On sait que tout doit être revu pour prévenir et gérer le risque et qu’on ne peut pas reconstruire comme avant. On va s’accrocher » affirment déterminés, les maires de Coustouge et Jonquières, Paul Berthier et Jacques Piraud. Ils attendent avec impatience les camions qui évacueront le bois carbonisé, les pelleteuses qui creuseront les bords des routes pour enfouir les réseaux, les téléphones satellitaires qui les relieront au monde « si cela devait se reproduire » ! « Tout signal d’espoir et de reconstruction sera bon à prendre ». Les commandes solidaires aux caves et aux vignerons du secteur ont été appréciées.
Au Château Saint-Eutrope, à Saint-Laurent de la Cabrerisse, Olivier et Emilie Verdale n’entendent pas baisser les bras après cette récolte 2025 perdue. Le père et sa fille montrent la colline calcinée au bout de leurs vignes : « On a vu un champignon de fumée sur la crête puis en quelques heures, le vent l’a poussé ici. Le raisin ne vaut plus rien. On se pose des questions bien entendu mais cette terre, on a envie qu’elle produise du vin comme elle l’a fait depuis toujours ».
Protéger et se redresser… Pour quelques mois encore, le temps est à l’urgence, mais l’avenir est à la résilience pour tout un territoire qui dépasse les surfaces brûlées cet été dans l’Aude. En complément des indemnisations de l’Etat et en lien avec la communauté de communes Lézignan-Corbières-Minervois, les communes sinistrées et les chambres consulaires, le Département de l’Aude et la Région Occitanie ont pris des mesures d’urgence avec, pour chaque collectivité, une enveloppe de 10M€.
Chacune interviendra dans ses compétences avec l’appui de l’autre. Ainsi la Région complétera l’action du Département sur l’aide aux communes, la gestion de dons, la remise en état du massif forestier, les campagnes de promotion touristique. La Région accompagnera les caves viticoles et les agriculteurs sinistrés y compris sur la trésorerie et les petits investissements. Elle mettra en œuvre ses dispositifs pour les entreprises (garanties, avances remboursables, subvention de 1 000€ sur la perte de chiffre d’affaires) et pour promouvoir les produits du territoire.
Les deux collectivités sont également partenaires du plan « Eau Aude » pour faire face aux tensions sur la ressource en eau potable comme en eau d’irrigation et prévenir le risque d’inondations dans un secteur soumis aux « épisodes cévenols » (pluies torrentielles à haute intensité).
Leurs présidentes, Carole Delga pour la Région et Hélène Sandragné pour le Département attendent une solidarité nationale à la hauteur de l’exposition du territoire au risque climatique. Dans leur esprit, pour l’Aude comme pour le pourtour méditerranéen, la résilience, l’habitabilité doivent guider un modèle de développement qui prend en compte l’impact du dérèglement climatique et concilie les enjeux économiques, sociaux, écologiques de ces territoires sensibles.
Cela doit commencer par la reconnaissance des incendies comme aléas climatiques ouvrant droit à des indemnisations agricoles et viticoles. Cette solidarité nationale doit aussi se traduire par des réglementations adaptées sur l’eau notamment et par des moyens financiers et matériels : les Départements et Régions les plus exposés doivent engager des dépenses supplémentaires sur leurs propres budgets (3M€ de plus pour le SDIS-Aude, travaux de l’aéroport de Carcassonne géré par la Région). Cette solidarité doit même s’étendre à l’Europe, en mobilisant la réserve de crise et en construisant une PAC adaptée aux spécificités méditerranéennes.
L’eau, la forêt, l’agriculture, les télécommunications, l’activité touristique, l’habitat, les moyens aériens… Le mégafeu du mois d’août impose un nouveau modèle pour que demain, un monde ne s’effondre pas sur les rivages et dans les arrière-pays de la Méditerranée.
L’équipe de La République en Commun