La situation à Gaza est toujours aussi dramatique. La mobilisation internationale est intense. Et les diplomaties européennes, occupées par le sort de l’Ukraine, envisagent de plus en plus la reconnaissance d’un Etat palestinien. Pendant ce temps, des dizaines de milliers d’Israéliens se mobilisent toutes les semaines à Tel Aviv pour dénoncer le massacre en cours à Gaza, exiger la libération des otages israéliens, le cessez-le-feu et la démission de Benyamin Netanyahou. La gauche israélienne, de nouveau unie, prend part au mouvement mais peine à revenir au premier plan de la vie politique.
Combien étaient-ils ? Plusieurs centaines de milliers dimanche 17 août à Tel-Aviv en soutien aux otages détenus par le Hamas depuis ce funeste 7 octobre 2023.
Chaque semaine, Tel Aviv est secouée par des manifestations de grande ampleur contre les bombardements menés par l’armée israélienne sur ordre du gouvernement de Benyamin Netanyahou. Dans les cortèges, on réclame d’abord la libération des otages détenus par le Hamas depuis le 7 octobre 2023. Mais les manifestants dénoncent aussi la politique du Premier ministre de l’Etat hébreu qui a décidé, avec les partis de sa coalition au pouvoir, d’intensifier ses attaques à Gaza. Elles auraient déjà fait plus de 60 000 morts selon les autorités locales.
La pression ne se relâche pas sur le gouvernement et son leader. Malgré leurs divergences, au sein d’une société de tout temps traversée par de profonds débats démocratiques, les opposants ont pointé l’impasse, la guerre sans fin et ce qui ressemble au sacrifice des otages. Dans cette guerre d’images, celle de Evyatar David, 24 ans, les os sur la peau, en train de creuser sa propre tombe dans un tunnel de Gaza, confine au supplice.
La question des otages reste centrale et obsédante pour les Israéliens. Ils sont encore 22 détenus vivants dans les tunnels du mouvement terroriste, à Gaza.
Cette insoutenable attente a fini de convaincre les opposants au chef de gouvernement que sa stratégie destructrice conduisait le pays dans une impasse politique, diplomatique voire humanitaire. Chaque semaine, la contestation enfle, relayée par de nombreux membres de la communauté juive dans la Diaspora.
Tel Aviv, la ville qui ne dort jamais, n’est certes pas Israël. Ici le cœur bat à gauche, une gauche qui souffre et a de plus en plus de mal à prendre son mal en patience. Les mêmes qui sont dans les rues de la ville l’étaient déjà pour protester, début 2023, contre la réforme de la justice.
Depuis le 7 octobre 2023, Tel Aviv est devenue la capitale de la contestation quand bien même la longueur de la guerre a semblé parfois émousser la puissance revendicatrice.
Dimanche 17 août, les familles des otages avaient appelé à la grève générale pour paralyser le pays et demander la fin de la guerre à Gaza. Faute du soutien de la puissante Histradout, principale organisation syndicale du pays, la grève générale a fait long feu. Le pays n’a pas été paralysé mais la société est en souffrance.
Cette mobilisation est la plus forte depuis de longs mois, la perspective de l’occupation complète de l’enclave palestinienne faisant miroiter une guerre sans fin et la condamnation à mort des otages.
Depuis plusieurs mois, la contestation s’étend au plus haut niveau de l’Etat hébreu. Le leader de l’opposition au Parlement, Yahïr Lapid, a réaffirmé sa détermination à se battre contre le gouvernement.
Le mot tabou « génocide » est prononcé en Israël même. La nomination du général David Zini à la tête du Shin Beth, décidée sans consulter le chef d’état-major ni respecter l’avis de la Cour suprême, avait suscité un regain de manifestations en Israël contre Benyamin Netanyahou. Proche du Premier ministre, Zini est opposé aux échanges d’otages et symbolise la radicalisation sécuritaire du gouvernement.
La nomination de Zini intervient après l’éviction controversée de Ronen Bar, ex-chef du Shin Bet, opposé à Netanyahou et auteur d’une enquête sur ses proches. Cette décision va à l’encontre d’un arrêt de la Cour suprême et du blocage imposé par la procureure générale, soulignant un bras de fer institutionnel inédit.
De grandes consciences font aussi entendre leurs doutes et leurs blessures intimes. Ainsi l’historien Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, de 2000 à 2002, ne masque plus ses déchirures jadis intimes : « L’armée se livre à des actes massifs des crimes contre l’humanité. J’ai honte d’être un citoyen d’un pays humilié par un tel gouvernement de ministres suprémacistes, fascistes et fondamentalistes », a déclaré le diplomate sur France 5, le 26 mai dernier. Il a réitéré ses propos sur France Inter récemment : « On n’a jamais mené une guerre pareille », estime-t-il, qui dénonce une guerre « purement politique ». « La guerre est d’ailleurs terminée depuis longtemps, ce qu’il se passe aujourd’hui est un assaut barbare contre une population civile« . Pour lui, « il y a eu une guerre juste pendant deux-trois mois, et c’est tout », « ce qui s’est passé après, c’est que la guerre s’est muée en opération purement politique de survie de la coalition de monsieur Nétanyahou et de Nétanyahou lui-même ».
L’ancien Premier ministre travailliste et héros de la guerre des 6 jours, Ehud Barak, a appelé « à une révolte civique » contre Netanyahou, qu’il accuse d’agir comme « un animal en cage » pour échapper à la justice et maintenir sa survie politique en attisant la guerre. Sur le champ politique, la gauche israélienne, malgré ses divisions, se montre offensive mais politiquement son poids reste insuffisant.
Le grand quotidien Haaretz, classé à gauche, n’y va pas par quatre chemins dans un récent éditorial au vitriol : « De nombreux Israéliens refusent de voir – mais le monde entier observe avec stupeur – que l’offensive d’Israël à Gaza ne relève pas de la diplomatie publique, mais d’un crime de guerre collectif. Les images qui nous parviennent de Gaza marquent à jamais la conscience morale d’Israël ». Puis, il dresse ce constat implacable : « Netanyahou et son allié Smotrich ne cherchent pas à dissimuler les crimes qu’ils commettent déjà, ni ceux qu’ils prévoient de commettre dans un avenir proche : la destruction de Gaza, son occupation et l’organisation de transferts massifs de population. Pour eux, la catastrophe humanitaire n’est qu’une question de diplomatie publique. Au lieu de prolonger cette catastrophe, le gouvernement doit autoriser une aide humanitaire substantielle pour mettre immédiatement un terme à la famine massive des Palestiniens et mettre fin à la guerre par un accord de cessez-le-feu garantissant le retour de tous les otages ». Puissant !
La charge a secoué le monde politique israélien. Et provoqué une série de répliques à la hauteur du tabou soulevé par une figure de l’armée israélienne et de la vie politique. En mai dernier, Yaïr Golan, 63 ans, ancien chef d’état-major adjoint, espoir de la gauche, a mis en cause l’armée et le gouvernement dans une déclaration inhabituelle, prononcée sur une chaîne de radio publique : « Un pays sain ne fait pas la guerre à des civils, n’a pas pour hobby de tuer des bébés et ne se fixe pas pour objectif d’expulser des populations », a dit le Président des Démocrates. Cette formation, issue de la fusion, en 2024, du Parti travailliste et du Meretz, anciens piliers de la gauche sioniste, dispose de quatre députés à la Knesset, le Parlement israélien.
C’est très peu. Sans remonter aux grandes heures du Parti Travailliste de Shimon Peres ou Yitzhak Rabin, figures incontestées et apôtres d’un dialogue exigeant avec les Palestiniens, force est de constater que les voix de gauche se sont évaporées, comme engluées dans ce conflit qui n’en finit plus et use les plus endurants défenseurs de la Paix.
Les élections législatives de 2019 et 2020 se sont soldées par des revers. Les travaillistes ont alors décidé de participer au gouvernement d’union nationale dirigé par Netanyahou et Benny Gantz. Les élections législatives de 2022 n’ont donné au parti de gauche que 7 députés sur les 120 de la Knesset.
Nouveau coup dur pour l’opposition, la présidente Merav Michaeli, grand espoir de la gauche, a quitté la présidence du Parti travailliste et la vie politique en 2024.
Yaïr Golan, ancien député du Meretz, lui a succédé il y a un an. Il s’est engagé à « unifier tous les partis de gauche en Israël » en un seul bloc. Effectivement, la fusion avec l’autre parti de gauche, Avoda, a été réalisée et le nouveau grand parti s’appelle « Les Démocrates ».
Néanmoins, dans les sondages dont la presse israélienne est friande, les premières projections sur les législatives de 2026 (si elles ne sont pas anticipées d’ici là…) s’avèrent décevantes pour la gauche avec seulement 13 élus sur les 120 de la Knesset. La proportionnelle intégrale met au centre du jeu politique les partis extrémistes, renforçant ainsi le gouvernement actuel.
S’il s’extirpe de ses affaires judiciaires à la faveur d’une réforme qui suscite un tollé, Netanyahou pourrait encore sauver sa peau en s’alliant avec les petits partis d’extrême droite et poursuivre son entreprise de destruction à Gaza.
D’ici là, les manifestants se mobilisent pour la libération des otages, le cessez-le-feu, l’aide humanitaire, la protection des civils… Nul n’ose à ce stade évoquer la solution à deux Etats réclamée par la communauté internationale…
Et les énièmes démarches diplomatiques des Etats-Unis et des pays arabes pour un cessez-le-feu semblent se heurter au mur d’une haine indéfectible entre les deux. Le seul sentiment partagé.
L’impasse semble totale.
L’équipe de La République en Commun