Témoignages

Amal Couvreur : « Dans les quartiers populaires, sécurité et égalité républicaine »

Publié le 18 août 2025
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Pour Amal Couvreur, vice-présidente du département du Gard et conseillère régionale, élue de train  impliquée depuis de nombreuses années, la lutte contre le narcotrafic passe par la répression des trafics mais aussi par une action sanitaire contre les addictions et un volet éducatif sur le terrain.

1. À Nîmes, les quartiers populaires sont gangrenés par le narcotrafic. Depuis des mois, la violence occupe une place de plus en plus importante. Vous qui êtes très impliquée, comment ressentez-vous la situation ?

Je suis très inquiète mais jamais je ne me résignerai. A plusieurs, nous restons mobilisés, sans tambour, ni trompette, et toujours dans l’action. La menace des trafiquants est réelle et pèse de plus en plus lourd sur les habitants des quartiers.

Chacun vit dans la peur de la balle perdue, la crainte que leurs gamins se fassent embarquer dans le deal ou la surveillance… Il faut imaginer la situation. La détresse est profonde. Les habitants sont impuissants. Une économie parallèle s’est mise en place parce que les jeunes ne trouvent pas de boulot, n’arrivent pas à sortir du quartier, ou n’imaginent pas y arriver. Et cette économie repose sur la drogue et la violence. Mais je ne baisse pas les bras : ces quartiers, je les connais, je les respecte et j’aime les gens qui y habitent. Je crois profondément qu’ils méritent, comme tous les autres, protection, considération, et perspectives d’avenir.

2. Des solutions sont-elles encore possibles ?

Bien sûr que des solutions existent. Il faut traiter les difficultés à la racine. Avec une action plus forte en matière de répression du trafic : renforcer les moyens de nos douaniers, de nos forces de police pour lutter contre le narcotrafic. En parallèle, il faut du travail pour les jeunes, d’importants moyens éducatifs pour les enfants, et une prévention psychiatrique et psychologique. Ce n’est qu’ainsi que nous nous attaquerons à la misère en profondeur. Accompagner notre jeunesse, en leur donnant les mêmes chances que les autres. Pour cela, il y a des codes qui, s’ils ne sont pas acquis à l’école, doivent être appris plus tard. Le Département du Gard, avec le soutien de l’Etat et de la Région, a recruté des médiateurs, en parallèle de la prévention spécialisée, qui interviennent dans les quartiers. Dans l’urgence, actuellement, nous finançons même des vacances pour les enfants, pour qu’ils sortent et qu’ils voient d’autres choses. Ce sont des actes concrets pour retisser du lien, offrir de la respiration. Travail, accompagnement éducatif, social et psychologique, et une justice ferme et rapide sont les trois piliers.

3. Si le narcotrafic est au cœur du problème, comment fait-on pour l’endiguer ? Doit-on condamner plus fortement les consommateurs ?

Il faut s’adresser aux plus vulnérables notamment sur la question de santé mentale.

Les premiers qui sont exploités par les réseaux de drogues, sont ceux qui sont fragiles. Quand on dit «  pas de consommateur, pas de vendeur », on oublie la question centrale : pourquoi est-ce que les gens consomment ? On ne peut pas dire à un toxicomane ou à un alcoolique « arrête-toi », même en les punissant. Il est temps de traiter les addictions. Dans une République qui fonctionne, on s’occupe de tout le monde. Sinon, ceux qui sont laissés au bord du chemin, se radicalisent dans la délinquance, l’extrémisme politique ou religieux. Arrêtons donc l’humiliation.

4. Que répondez-vous à ceux qui expliquent que les problèmes viennent des habitants eux-mêmes ?

C’est une facilité extrêmement dangereuse. Les gens des quartiers demandent juste à être traités comme les autres. Mais ils ont deux fois moins de médecins, trois fois moins de transports, une précarité immense… Quand vous cumulez toutes ces injustices, vous créez un climat de défiance. La grande majorité des habitants des quartiers vivent comme vous et moi, mais avec beaucoup plus de galères et d’inquiétudes pour leurs enfants. Ce n’est pas une pathologie individuelle, c’est une production sociale de l’abandon.

5. Après les fusillades récentes à Nîmes, la Ville a instauré un couvre-feu pour les mineurs. Est-ce une solution ?

C’est une réponse immédiate à une situation de tension extrême. Mais ce n’est pas une politique publique. Si on ne propose pas autre chose aux jeunes à 18 h que d’attendre sur un banc ou de guetter pour quelques euros, on ne résoudra rien. Il faut des éducateurs, des médiateurs, des psychologues et une police de proximité.

Ce que nous avons mis en place, c’est cela : un accompagnement humain, de proximité, pas de l’affichage.

 

Les familles que je rencontre veulent que leurs enfants vivent sans avoir honte de leur adresse. Elles veulent un médecin de famille, une école digne, un ascenseur qui marche, quitte à prendre l’escalier. C’est tout.
Amal Couvreur, vice-présidente du département du Gard et conseillère régionale d’Occitanie

6. Justement, ce dispositif de médiation dans les quartiers de Nîmes que vous avez mis en place. Pourquoi est-ce essentiel ?

Parce qu’il faut recréer du lien. La violence naît aussi du silence, du sentiment d’abandon. Avec les médiateurs, nous avons voulu remettre des adultes, du sens, de l’écoute dans l’espace public. Ce n’est pas spectaculaire, mais c’est indispensable. Ils apaisent, orientent, préviennent. C’est complémentaire aux permanences des psy que nous accueillons et à cet ancien collège que, avec l’ancien président du Département, Denis Bouad, et la présidente actuelle, Françoise Laurent-Perrigot, nous avons transformé en lieu unique d’accueil des services publics et des associations qui interviennent dans les quartiers. Il faut remettre de la présence républicaine ici comme partout ailleurs.

7. Que pensez-vous du discours politique qui parle “d’ensauvagement” ou de “guerre contre la drogue” ?

Ce sont des mots qui blessent plus qu’ils ne réparent. Quand on parle de guerre, on désigne des ennemis. Moi, je vois surtout des jeunes perdus, laissés seuls face à des réseaux violents. Oui, nous devons lutter contre le narcotrafic. Mais on ne le fera pas sans comprendre ce qui pousse un adolescent à devenir guetteur ou consommateur. C’est une économie de la survie qui s’installe sur les ruines du lien social et qui aboutit à encore plus de misère. Ne croyez pas l’extrême droite, les gamins sont de la main d’œuvre qui n’arrive plus à s’en sortir. Ils ne roulent pas sur l’or.

8. Vous parlez souvent de dignité. En quoi cela guide votre action ?

La dignité, c’est le socle. Les familles que je rencontre veulent que leurs enfants vivent sans avoir honte de leur adresse. Elles veulent un médecin de famille, une école digne, un ascenseur qui marche, quitte à prendre l’escalier. C’est tout.
Respecter la dignité des gens, c’est commencer par les écouter et les associer à ce qu’on fait pour eux. C’est aussi être regardé avec respect, pas avec suspicion.

9. Les politiques publiques ont -elles failli ?

Oui, les politiques ont parfois failli, en pensant béton avant de penser humain. On a rénové sans écouter. On a dépensé sans dialoguer. Il faut corriger cela. Nous devons fabriquer de la confiance, de l’équité, de la reconnaissance.

10. Faut-il plus de sécurité ?

Oui, et une réponse pénale claire. Les premières victimes de ces violences, ce sont les habitants : plus de commerces, des écoles dégradées, la médiathèque neuve fermée parce qu’on n’a pas réussi à déloger les dealers… C’est la première demande des habitants. La disparition de la police de proximité a été une erreur. Il faut revenir à cette police du lien, qui connaît, qui comprend. Sinon, on ne fait que repousser les problèmes. Mais la sécurité, ce n’est pas que des effectifs de police. C’est aussi du soutien scolaire, de l’écoute psychologique, des perspectives d’avenir.

11. Quelles sont vos priorités dans les mois à venir ?

Renforcer les équipes sociales de terrain, s’occuper des plus vulnérables. Multiplier les consultations psychologiques pour les familles. Soutenir les associations locales qui font un travail de lien incroyable. Et aussi défendre les services publics, parce que dans ces quartiers, chaque fermeture est vécue comme un abandon de plus. Et un mot pour conclure : s’occuper des quartiers populaires, c’est s’occuper de toute la ville. Ce qu’il s’y passe rejaillit sur toute notre société.