Le 21 octobre 1945, pour la première fois, 33 femmes entraient à l’Assemblée nationale. Huit décennies ont passé avec des avancées considérables pour la condition féminine, mais en politique, les hommes restent nettement majoritaires au Parlement et surtout dans le mandat de maire
C’était il y a 80 ans. Le 21 octobre 1945, lors du deuxième scrutin après l’octroi du droit de vote aux femmes : 33 femmes étaient élues députées dans l’Assemblée nationale constituante, issue du comité de la Libération. Parmi elles, beaucoup de résistantes, issues notamment du parti communiste (17 pour 6 socialistes, 9 du parti centriste MRP et 2 des partis de droite). Elles héritent d’un surnom péjoratif « les députettes » contre lequel s’insurge l’une d’entre elles, la Toulousaine Marcelle Rumeau (PCF), qui ajoute le « e » pour inscrire députée sur sa carte de parlementaire.
Institutrice, syndicaliste, résistante, elle est réélue en Haute-Garonne un an plus tard, en 1946, lors de la première législature de la IVème République sur un scrutin proportionnel départemental. Lors d’un entretien à la presse locale, en 1985, Marcelle Rumeau raconte cette première expérience : « Dans cette première Assemblée en 1946, il y avait une vice-présidente, Gilberte Brossolette (PS). Les 20 autres femmes ont été cantonnées aux questions éducative set sociales. Pour moi, c’était facile car mon expérience au syndicat des instituteurs et institutrices me donnait des arguments pour intervenir à la tribune sur les réformes. Je me suis battue pour que les colonies de vacances soient accessibles à tous et financées par les employeurs. En revanche, sur les questions militaires, économiques, sur les grandes lois, sur les colonies qui occupaient les débats nous n’avions pas notre mot à dire. Il n’y avait d’ailleurs aucune députée des colonies ».
De retour à l’Assemblée nationale en 1956, elle s’y rend célèbre en giflant lors d’un débat musclé le benjamin de l’hémicycle, un certain… Jean-Marie Le Pen, élu sous bannière poujadiste. « Nous étions toujours une vingtaine de femmes. Chaque fois que nous pouvions faire avancer la cause des femmes, nous étions mobilisées en général face aux démocrates-chrétiens et aux poujadistes. Mais c’était compliqué y compris à l’intérieur de nos partis ». Marcelle Rumeau gardait comme une blessure l’opposition du parti communiste à l’IVG au temps où elle siégeait. Elle se félicita néanmoins du changement complet de cap de son parti sur le sujet et du soutien du PCF à la loi Veil.
Pendant les 12 années de la IVème République, le palais Bourbon a accueilli environ 5% de femmes, essentiellement enseignantes, avocates, médecins, haut-fonctionnaires alors que chez les hommes, les catégories populaires deviennent bien plus nombreuses que dans les « assemblées de notables » d’avant-guerre.
Le scrutin majoritaire de la Vème République et le recul du parti communiste « remasculinisent » l’hémicycle : à peine 1,7% de femmes entre 1962 et 1973. Les avancées féministes sous Valéry Giscard d’Estaing (loi Veil) et l’arrivée de la gauche au pouvoir avec François Mitterrand sont très loin de conduire vers la parité, malgré les promesses des deux présidents et la nomination de nombreuses femmes à des ministères importants (Simone Veil, Alice Saunier-Seite, Nicole Questiaux, Edith Cresson…). Pour féminiser enfin la vie politique, le gouvernement de Jospin n’hésite pas à recourir à la loi lors de la cohabitation de 1997 : l’obligation de parité avec des contraintes sur les scrutins de liste et des amendes pour les partis qui ne s’y résolvent pas est votée par l’Assemblée présidée par le socialiste Laurent Fabius. Elle ne compte que 63 femmes sur 577 députés !
Cette parité est donc très rapidement atteinte dans les conseils régionaux et municipaux des villes de plus de 3500 habitants et à la représentation dans les instances européennes. Mais la marche vers une représentation égale de « la moitié de la population » au Parlement est loin d’être terminée.
Au 80ème anniversaire du 21 octobre 1945, l’équilibre n’est pas atteint que ce soit au Sénat (37% de sénatrices) ou à l’Assemblée nationale : après le pic de 2017 (39%) la proportion s’établit à 36% de députées depuis juillet 2024. Dans les pays d’Europe du Nord, en Espagne et en Belgique, la barre des 40% a été dépassée alors qu’il n’existe pas d’obligation de parité. La France se situe désormais dans le milieu du classement, très loin devant la Hongrie (14%), la Grèce, l’Irlande, la Roumanie, la Slovaquie (20 à 25%) où la politique demeure une affaire d’hommes. La faute aux partis qui ne réservent pas les circonscriptions gagnables aux femmes ?
Selon la politologue, Anne Muxel, « Il reste certes des freins dans les partis, dans les mentalités, mais le principal écueil se situe à l’échelon municipal : seulement 20% des maires sont des femmes. La progression est lente car on était à 18% en 2014. Surtout, à peine 11% accèdent à la présidence d’une intercommunalité, un échelon qui prend de l’importance dans nos institutions et qui fournit un vivier de parlementaires ». L’enjeu pour accéder à une vraie parité en politique, ce sera plutôt l’engagement des femmes au niveau local en 2026. Si rien ne change l’année prochaine, cela deviendra d’autant plus regrettable qu’avec la réforme du scrutin qui oblige à présenter des listes paritaires dans les petites communes, le nombre d’hommes et de femmes à siéger dans les conseils municipaux sera proche de l’égalité.
L’élection municipale des 15 et 22 mars sera donc un vrai défi pour inciter davantage de femmes à s’engager dans leurs communes et surtout à se positionner sur le mandat intercommunal. 80 ans après les pionnières des 1945, le combat de la parité continue.
L’équipe de La République en Commun