Tribune collective publiée le 6 juillet 2025 sur Marianne.fr
La création d’un « Secrétariat National à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie » dans la nouvelle direction du Parti socialiste nous interpelle profondément. Elle marque un tournant préoccupant dans l’évolution de notre parti.
Ce terme d’islamophobie, nous l’avons pourtant collectivement refusé, débattu, et écarté. Non pas par ignorance des agressions et discriminations qui frappent certains de nos concitoyens de culture ou de foi musulmane – que nous combattons sans relâche – mais parce que le mot « islamophobie » est ambigu, politisé, et souvent détourné pour remettre en cause les fondements mêmes de notre pacte républicain.
En novembre 2019, le Bureau national du PS avait pris avec lucidité la décision de ne pas participer à la marche dite « contre l’islamophobie », au regard de ce mot prêtant à confusion et de la présence de figures prônant le rejet de la laïcité et parce que les organisateurs, outre la légitime condamnation des violences anti-musulmanes (à l’époque l’incendie de la mosquée de Bayonne), avaient pour mot d’ordre la dénonciation des « lois liberticides de 2004 et 2010 ».
En décembre 2022, une tribune dans Le Monde, signée par Olivier Faure, Corinne Narassiguin et Jérôme Guedj, expliquait pourquoi le Parti socialiste devait se tenir à l’écart de ce mot piège.
En 2025, au cœur du 81e congrès, la commission nationale laïcité pilotée par Jérôme Guedj a produit une contribution exigeante et claire. Elle rappelait que la lutte contre le racisme antimusulman doit s’inscrire dans un cadre universaliste, sans céder aux injonctions de celles et ceux qui voudraient faire de la religion un critère politique.
Cette contribution a été signée par Yannick Trigance, Mathieu Klein, Corinne Narassiguin, Fanny Pidoux, Isabelle Santiago, Samira Laal, Luc Broussy – camarades respectés, aujourd’hui nommés dans la Direction Nationale.
Et dans ce même congrès de Nancy, aucun des 3 textes d’orientation soumis au vote des militants n’a utilisé ce terme…
Comment nos camarades peuvent-ils aujourd’hui accepter qu’un Secrétariat national porte précisément ce terme qu’ils ont eux-mêmes combattu dans une contribution thématique du Congrès et volontairement ignoré dans toutes les contributions générales pour préférer parler de l’ampleur du racisme anti-musulman ? Cette contradiction interroge profondément la cohérence de notre ligne politique.
Hélas, depuis l’accord NFP de juillet 2024 où figure ce terme, par touches successives, notre ligne de clarté s’est brouillée. La tragédie de la mort d’Aboubacar Cissé a été utilisée pour imposer le terme « islamophobie » dans l’espace public, dans une logique émotionnelle et confusionniste. Le seul argument déployé est celui de l’évidence du mot dans le débat public. Nous sommes convaincus au contraire que notre rôle est d’expliquer ce dévoiement et son instrumentalisation. C’est pourquoi cet attachement au choix du mot n’est pas symbolique et que parler de racisme anti-musulman, de haine anti-musulman ou de musulmanophobie nous paraît plus adéquat pour garantir l’efficacité du combat antiraciste que nous portons.
Aujourd’hui, pourtant, c’est un Secrétariat national de notre parti qui en porte ce nom, et le valide ainsi. Nous dénonçons cette évolution qui, loin d’unir les forces de la gauche sur des bases républicaines, valide les thèses d’une gauche identitaire et communautariste, qui dénature l’antiracisme et affaiblit la laïcité.
Nous affirmons avec constance :
- Nous combattons toutes les formes de racisme, et particulièrement la haine et les discriminations visant nos compatriotes de religion musulmane, réelle ou supposée. Au moment où les actes anti-musulmans explosent (+75% depuis le début de l’année), nous réaffirmons la pleine solidarité de la communauté nationale, notre volonté d’une action résolue pour prévenir et sanctionner sévèrement ces actes. Nous souhaitons aussi enfin une véritable politique publique de lutte contre les discriminations raciales, dans l’accès à l’emploi, au logement, aux services publics ou privés… associant sanctions pénales effectives (il y a trop peu de condamnations pour discrimination), formation et prévention.
- Nous n’acceptons pas que la critique d’une religion soit assimilée à du racisme, ni que des principes fondamentaux comme la laïcité, la liberté d’expression, le droit au blasphème soient caricaturés ou présentés comme « islamophobes ». C’est au nom de cette accusation que les dessinateurs de Charlie Hebdo ont été massacrés, dont Charb dont il faut plus que jamais relire la « Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes ». C’est au nom de cette accusation d’islamophobie que Samuel Paty a été jeté en pâture. C’est avec ce mot que les lois de la République comme celle de 1905 ou celle de 2004 sont vilipendées.
Tout au long du congrès, nous avons tenu une ligne claire, digne, fidèle à l’universalisme républicain, sans jamais céder ni aux récupérations stigmatisantes d’extrême droite contre les musulmans, ni aux dévoiements communautaristes d’une certaine gauche.
Nous restons persuadés que le Parti socialiste ne se reconstruira pas sur des ambiguïtés. Nous croyons encore que la clarté n’est pas un luxe, mais une nécessité pour rassembler la gauche.
C’est pourquoi nous souhaitons qu’un débat puisse avoir lieu lors d’un prochain Bureau national du Parti socialiste. Pour nourrir le nécessaire débat dans la société.
Liste des signataires :
- Nicolas Mayer-Rossignol
- Carole Delga
- Jérôme Guedj
- Laurence Rossignol
- Jean-Marc Germain
- Claire Fita
- Michaël Delafosse
- Valérie Rabault
- Sandrine Floureusses
- Patrick Mennucci
- Cécile Fadat
- David Assouline
- Christian Assaf
- Marie-Pierre de la Gontrie