Dans l’indifférence générale, des régions entières du Soudan sont dévastées par une guerre violente entre les Forces armées (FAS) et les Forces de soutien rapide (RSF, ou FSR) qui fait des milliers de morts et provoque l’exode de millions de civils. La communauté internationale observe, mais n’agit pas à la hauteur du drame.
Plusieurs dizaines de milliers de morts et près de douze millions de personnes déplacées ou forcées de fuir. Cet exode d’une ampleur inégalée au XXIème siècle est le moins médiatisés de notre époque, comme l’a confirmé le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qualifiant le Soudan d’épicentre de « la plus grave crise de déplacements internes au monde ».
Plus de 30 millions de Soudanais sur une population de 52 millions ont aujourd’hui besoin d’aide humanitaire d’urgence. Les infrastructures essentielles se sont effondrées. La famine est déjà déclarée ou suspectée dans plusieurs zones et villes assiégées. À cela s’ajoutent des épidémies, et notamment le choléra, favorisé par la rupture des services d’eau et d’assainissement.
Dans une tribune au Monde, l’avocate soudanaise Alaa Busati, réfugiée à Marseille, tire la sonnette d’alarme : « La guerre au Soudan est alimentée par la cupidité sans borne de tous ceux qui en profitent ». Elle rappelle que, selon les estimations, 160 000 personnes ont déjà perdu la vie dans le conflit, et que cette tragédie pourrait prendre fin si la communauté internationale imposait des embargos et des sanctions aux pays qui financent ou armement les belligérants. Toujours dans Le Monde, 64 femmes, parmi lesquelles Elisabeth Badinter, Anne Sinclair, et des figures du féminisme et de la société civile, dénoncent les crimes sur les civils, les exécutions sommaires, les viols, les enlèvements, et exige « un accès sans entrave à l’aide humanitaire » ainsi qu’une enquête internationale indépendante.
Et pourtant, les appels en faveur d’une réponse massive n’ont pas trouvé d’écho à la hauteur de la tragédie. A titre d’exemple, le plan humanitaire pour 2025, visant à aider 21 millions de personnes, n’est financé qu’à hauteur de… 20 % à ce jour. Et si le ton s’est durcit du côté de l’ONU, les atrocités perdurent, le constat d’impuissance est criant, et l’émotion vite oubliée.
Comment expliquer cette relative indifférence ? D’abord par la fatigue géopolitique : le récit soudanais est complexe. Dans cette guerre s’entremêlent le religieux, l’ethnique, le politique, le narcotrafic, les rivalités régionales sans compter les ingérences étrangères et quelques gisements de minerais. Le pays est situé hors des foyers médiatiques occidentaux et ne revêt pas d’importance stratégique malgré sa façade sur la mer rouge.
Cependant, regarder le Soudan brûler en invoquant la « complexité » du conflit est devenu trop facile. Refuser l’action sous prétexte que « c’est compliqué », c’est laisser prospérer la violence, laisser mourir des civils de faim, de maladie, d’épuisement ou sous les bombes.
Les proclamations doivent désormais céder la place à une réelle action, concertée et puissante. La pression sur les États qui alimentent le conflit n’est pas assez forte et les corridors humanitaires, les embargos sur la vente d’armes réclamés par les ONG peinent à se mettre en place. Financer les plans des agences onusiennes, soutenir les mécanismes de justice internationale pour les victimes et mobiliser l’opinion publique internationale : sans ces décisions politiques fortes les belligérants ne seront pas conduits à la négociation.
Laisser le Soudan s’effondrer sans réponse, c’est lui infliger une nouvelle violence et participer, par omission, au chaos dans lequel sont plongés, impuissants, des millions d’êtres humains.
L’équipe de La République en Commun
Photo : © MSF