La décision de justice rendue à l’égard de l’ancien Président Nicolas Sarkozy et des quatre autres personnes condamnées en première instance dans l’affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 a été critiquée. Les magistrats ont été mis en cause et même menacés sur les réseaux sociaux. Dans une démocratie, la séparation des pouvoirs est indissociable d’un Etat de droit.
« Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice »… Cet extrait de De l’esprit des Lois de Montesquieu mérite d’être relu et rappelé après les réactions et les polémiques qui, dans les médias et sur les réseaux sociaux, ont suivi la condamnation de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant et Brice Hortefeux pour association de malfaiteurs dans le procès du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007.
Montesquieu définit comme suit ce qui est écrit dans les Constitutions de toutes les démocraties : la séparation des pouvoirs.
- Pouvoir de voter la loi (pouvoir législatif).
- Pouvoir d’exécuter les lois et pour ce faire d’édicter des règlements (pouvoir exécutif)
- Pouvoir de rendre la justice (pouvoir judiciaire).
Un Etat qui mélange ces pouvoirs n’est pas un Etat de droit. Quand la décision de justice devient l’affaire des gouvernants, ce n’est plus un régime démocratique.
Au Chili en 1973, Pinochet a commencé par révoquer plus de deux-tiers des magistrats pour nommer directement des proches sans la moindre compétence juridique à la tête des parquets, des chambres d’instruction et des tribunaux du pays. Le droit soviétique subordonnait carrément le pouvoir judiciaire aux décisions politiques et à la primauté du parti. Un pays sans une justice séparée entre dans la catégorie des dictatures.
Dans un Etat de droit, les magistrats n’ont donc pas le pouvoir de fabriquer la loi mais le devoir de l’appliquer selon les termes fixés par le législateur et de veiller à son application en toute indépendance. Il leur incombe d’abord de conduire les enquêtes en toute impartialité, sans pression des autres pouvoirs et dans le respect des procédures également établies par le législateur.
Ensuite d’estimer à la lumière des investigations s’il y a lieu à tenir un procès. Et si tel est le cas de rendre un jugement dans le respect des codes civil, pénal, administratif, et des droits à la défense des justiciables. En dehors des jurys des procès criminels dits ordinaires des cours d’assises, la France a choisi de confier la décision de justice, en première instance, en appel et en Cassation, à des magistrats professionnels. Ils sont sélectionnés par concours ou d’autres voies administratives, formés dans des établissements supérieurs et rémunérés comme fonctionnaires. D’autres démocraties, comme les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni voire l’Espagne ont davantage recours à des jurys populaires. Mais la décision est toujours rendue en séparation des autres pouvoirs.
C’est donc parce qu’elle est délibérée et énoncée par des juges indépendants au nom de la séparation des pouvoirs qu’une décision de justice s’impose à tout un chacun. Autant exprimer son opinion sur un texte législatif, sur une proposition de loi d’un gouvernement relève du bon fonctionnement du débat démocratique, autant contester ou, pire, insulter une décision de justice, est malsain pour la séparation des pouvoirs, donc pour l’Etat de droit.
Plus graves sont les menaces à l’égard des magistrats. Elles doivent être poursuivies et sanctionnées non seulement parce qu’elles atteignent l’honneur et l’intégrité de personnes mais encore parce qu’elles remettent en cause ce même Etat de droit. N’oublions pas qu’à Marseille en 1981, le juge Pierre Michel a été assassiné parce qu’il enquêtait sur le grand banditisme. Les juges des pôles antiterroristes vivent sous protection policière nuit et jour. Certains ont été contraints d’inscrire leurs enfants à l’école sous de faux noms, de vivre dans des logements différents de celui de leur famille, d’éviter à vie certaines destinations pour leurs vacances…
De même refuser le droit de se syndiquer aux magistrats serait un non-sens social et éthique.
Les conditions de travail, les rémunérations, les grades, les carrières et tant d’autres aspects de la vie professionnelle d’un fonctionnaire font l’objet de négociations entre son administration et ses représentants élus. Cette démocratie sociale, les magistrats y ont doit comme tout agent de la fonction publique civile. Les organisations syndicales ont également vocation à lancer des alertes, à interpeller les médias, les gouvernants, les citoyens quand des travailleurs du privé comme du public n’ont pas les moyens pour exercer ses missions, quand ils sont méprisés, dénigrés, menacés. Ce serait une injustice de priver les magistrats de ce droit à être représentés et défendus.
La République doit protéger ses magistrats comme elle doit protéger ses enseignants, ses soignants, ses policiers, ses gendarmes, ses douaniers, ses pompiers, ses élus et de façon générale tous ceux qui la servent.
L’indépendance des magistrats garantit la séparation des pouvoirs. C’est donc un pilier de l’Etat de droit. Le remettre en cause, c’est ouvrir la porte à des dérives qui peuvent mener un pays en dehors du champ démocratique.
L’équipe de La République en Commun