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Jafar Panahi, au-delà du courage

Publié le 30 mai 2025
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Lauréat de la Palme d’Or au Festival de Cannes, le réalisateur iranien Jafar Panahi est rentré dans son pays malgré les risques d’un troisième séjour en prison. Il n’a pas hésité à soutenir les chauffeurs routiers et le mouvement social qui bravent le régime dictatorial des Mollahs depuis deux semaines.

Il aurait pu rester en Europe. Embarquer avec des producteurs américains pour Hollywood. Entreprendre une tournée mondiale de promotion de « Un simple accident », sur les écrans au mois d’octobre prochain… A peine 48 heures après avoir reçu sa Palme d’Or au Festival de Cannes, Jafar Pahani a repris un avion pour Téhéran. Une semaine après l’ascension au sommet des marches rouges de la Croisette, le regard caché par les mêmes lunettes noires qu’au moment où Kate Blanchett lui remettait le prix, il est descendu dans la poussière et les odeurs d’essence des routes persanes embouteillées pour soutenir la grève des transporteurs, grand mouvement de contestation du régime qui fédère au-delà des chauffeurs de camion et des mécaniciens. « Nous devons tous les soutenir. Ils en ont assez comme la grande majorité des Iraniens. Ils disent : arrêtez l’oppression et le péage du pays ».

La réalisateur veut rester en cohérence avec la critique féroce et émouvante de la dictature des Mollah et de la cruelle répression subie par les opposants qu’il raconte avec un réalisme glaçant parfois teinté de dérision.

«  Ma place est dans mon pays. Mettons de côté tous les problèmes, toutes les différences. Ce qui importe le plus en ce moment, c’est notre pays et la liberté de notre pays » a-t-il répondu, entouré de son équipe, à ceux qui, inquiets pour sa vie l’appelaient à la discrétion et lui conseillaient l’exil.

A l’aéroport de Téhéran, quand il a débarqué avec son équipe sous les acclamations de proches, les gardiens de la Révolution ne sont pas intervenus, signe de la puissance du réalisateur et de ses messages. Ils n’ont pas arrêté les actrices qui ont interprété, en toute clandestinité, leurs personnages sans porter le voile, ce qui est interdit en Iran. Le régime a préféré détourner le sujet sur le front diplomatique en convoquant le chargé d’affaires français à Téhéran pour protester contre les propos «  insultants » de Paris. Les tensions sociales dans le pays sur fond d’inflation à deux chiffres, la colère après les détournements de fonds par des proches du régime et la grève des routiers ont sans doute évité une troisième arrestation à Jafar Panahi.

Courage, engagement, résistance…Les mots manquent pour qualifier les actes, les mots, la résilience de Jafar Panahi.

«  Quand on fait de tels films, on sait qu’il y a un prix à payer dans un pays dirigé par des corrompus et des obscurantistes» répond-il encore. Il a payé pour savoir : deux séjours dans les geôles de Téhéran. Le dernier a duré huit mois, entre juillet 2022 et février 2023 : Jafar Panahi était emprisonné pour « contestation du régime et œuvres subversives ». Il a été soumis à « la torture blanche » (lumière allumée 24 heures sur 24, yeux bandés lors d’interrogatoires quasi quotidiens). Il a rencontré d’autres prisonniers, il a entendu la voix et les cris de tortionnaires… Même s’il se défend d’avoir construit le scénario lors de sa détention, il ne cache pas que « ceux qui l’ont jeté en prison lui ont tendu des perches ». Il n’a pas davantage peur d’y retourner que les héros de son film : « Cela peut être la prison, ça peut être mille autres choses. Mais ce n’est pas grave. Si ça arrive, j’irai me reposer en prison et recevoir de nouvelles histoires. Le cinéma est l’allié de la liberté et doit le rester. Je ne suis qu’un réalisateur qui raconte ce qu’il entend dans son pays. »

Courage, engagement, résistance… Les mots manquent pour qualifier les actes, les mots, la résilience de Jafar Panahi. Chaque jour de liberté dans leur propre pays est une petite victoire pour lui-même et pour tous les acteurs, les techniciens, les figurants qui ont bravé tous les interdits pour réaliser ce film. La Palme d’Or de Cannes 2025 a braqué les projecteurs sur des hommes et des femmes en résistance. De retour dans leur pays, ils n’expriment qu’une envie : continuer à filmer. Pour dénoncer, pour protester, pour aller au bout du scénario qu’ils veulent pour leur pays : la liberté.

 L’équipe de la République en Commun