La République, nous l’avons vue tomber de l’autre côté des Pyrénées en 1939 et nous avons accueilli des milliers d’Espagnols fuyant la répression sanglante des troupes franquistes. Un demi-siècle après la mort de Franco, le 20 novembre 1975, le gouvernement espagnol combat toujours le retour des idées nationalistes et réactionnaires des nostalgiques de la dictature.
Il a suffi de quelques heures ce matin-là pour que des millions d’Espagnols dans leur pays et en exil retrouvent l’espoir. Ce 20 novembre 1975, l’hymne espagnol est diffusé dès la prise d’antenne sur les radios de tout le pays. « J’ai reçu un coup de fil au boulot. C’était ma femme. Deux fois, elle a crié : Le caudillo est mort. Je crois que j’ai répondu Vamos, la journée commence bien. Tout de suite, les photos de la retirada à travers les routes pyrénéennes, les prisonniers exécutés par les milices franquistes et d’autres horreurs ont défilé dans ma tête. Très vite, j’ai dit à mes collègues : ça va enfin changer en Espagne. C’était comme une libération. Le soir c’était plus mitigé : on ne savait pas comment la suite allait tourner : deux mois plus tôt, il y avait eu des exécutions et les grèves en Navarre et au Pays basque avaient été violemment réprimées » se souvient Henri, enfant de réfugiés espagnols à Toulouse. « Je n’oublie pas que cette dictature a duré 36 ans, que des enfants ont été volés à des mères républicaines, qu’on retrouve encore des charniers. Ce qui m’inquiète, c’est la résurgence de nostalgiques du franquisme… »
Tout commence pendant l’hiver 1939 quand l’armée républicaine, à bout de forces et à court de munitions, est vaincue par les troupes nationalistes des généraux Mola et Franco. Avec les légions hispano-marocaines qu’il commandait dans l’enclave de Ceuta, l’appui d’un clergé influent dans la société espagnole, des relais dans l’armée et le parti d’extrême droite « La Phalange », le général Francisco Franco Bahamonde s’empare par la force du pouvoir en 1939. Il ordonne une répression sanglante. Selon les historiens, la guerre et cette terreur blanche qui a suivi se soldent par 400 000 à 500 000 morts et disparus, sans compter les décès par maladie et malnutrition.
En 1936 et pendant les 3 années de guerre civile qui ont suivi, les démocraties européennes ont littéralement laissé tomber la jeune République espagnole, pendant que Mussolini et Hitler alimentaient en canons, en avions et en logistique les troupes nationalistes. En 1945, exsangues, avides de paix après six années de combats, inquiets de la nouvelle « guerre froide », les gouvernements successifs de la France, du Royaume-Uni et des autres pays européens ont détourné le regard de la péninsule ibérique malgré les efforts du « gouvernement de l’Espagne en exil » installé à Toulouse pour les convaincre que la lutte contre la dictature n’était pas terminée. Du moment que l’Espagne s’ouvrait à l’économie de marché et accueillait l’Europe sous son soleil et sur ses plages…
Pendant 36 ans, en Espagne, les libertés ont été étouffées, l’Etat de droit confiné par cette dictature capitaliste, cléricale et réactionnaire. Le franquisme imposait le parti unique, nommait les magistrats, muselait y compris par la détention toute opposition. Deux mois avant la mort de Franco, deux militants de l’ETA et trois d’un mouvement clandestin hostile au régime (le MRAP) sont fusillés.
La transition démocratique, a été rapide après ce 20 novembre 1975. Pendant la lente agonie du Caudillo, malade dès 1973, les milieux d’affaires et les générations nées après 1939 avaient préparé le passage à une monarchie constitutionnelle. Le droit de vote a été rétabli dès 1976, les partis et syndicats autorisés, l’armée placée sous l’autorité du gouvernement. Une constitution démocratique a été adoptée en 1978 par référendum, la peine de mort a été abolie trois ans avant la France, un Etat fédéral correspondant à l’aspiration des habitants de nombreuses régions s’est construit. Les droits pour les homosexuels ou les migrants ont été obtenus ou élargis avant la France ! La lutte contre le machisme et les féminicides est aujourd’hui beaucoup plus musclée, les énergies renouvelables diminuent les émissions de CO2 plus vite qu’ailleurs en Europe.
Dans les années 1970, les exilés n’ont pas été vraiment associés à cette reconquête démocratique, excluant tout retour d’une République. Déracinés pendant 40 ans, actifs depuis Toulouse, Perpignan ou Montauban pour aider les syndicats locaux et organiser une résistance, beaucoup de réfugiés ont regretté les lois d’amnistie : elles ont accordé une impunité aux criminels de guerre. Les exactions ont été mises sous le tapis malgré les lois mémorielles des gouvernements socialistes de José Luis Zapatero puis aujourd’hui de Pedro Sanchez. Le chef du gouvernement a fermé le mausolée érigé par les thuriféraires de Franco et fait rapatrier le cercueil dans un cimetière :« L’hommage public au dictateur était plus qu’un anachronisme ou une anomalie, c’était un affront à la démocratie espagnole. Y mettre fin était un devoir pour les générations qui n’ont pas grandi sous le traumatisme de la guerre civile et du franquisme ».
La décision du président socialiste n’est pas seulement symbolique. Inlassablement, Pedro Sanchez rappelle aux Espagnols qu’un demi-siècle après le décès du dictateur, le franquisme, déclinaison espagnole des idéologies européennes d’extrême droite, n’a pas disparu.
Le parti Vox, qui n’a jamais condamné le franquisme – voire s’en revendique pour partie – ne cesse de progresser dans les urnes. Au Parlement européen, il siège dans le même groupe que l’AfD allemande, d’inspiration néonazi, et le Rassemblement national. Des établissements scolaires privés présentent le franquisme comme une période de progrès pour l’Espagne. Des groupes de nostalgiques défilent dans les rues avec les symboles militaires ou religieux de cette sombre période. Des dirigeants de Vox ont qualifié Pedro Sanchez d’inquisiteur !
Dans des villes, des régions, une partie de la droite a refusé le front démocratique, préférant l’alliance avec Vox. Le programme de ce parti est celui d’une Espagne fantasmée, sans magistrats indépendants, sans IVG ni droits pour les LGBT+. Une Espagne sans ses autonomies régionales, machiste et catholique, sans ses immigrés qui pourtant exercent les métiers du tourisme et du bâtiment, moteurs de la croissance… Pedro Sanchez a condamné ces tentatives de révisionnisme sur la période franquiste et le retour des « idées des années noires pour la liberté, l’égalité, l’action humanitaire, les droits des citoyens ».
Cinquante ans après la mort de Franco, face à l’extrême droite, les démocrates ne peuvent se permettre la moindre faiblesse ni tolérer la moindre complaisance à l’égard de l’histoire de son idéologie.
L’équipe de La République en Commun