Cinq ans après le Grand Débat national, les cahiers de doléances sont enfin accessibles au public. Cette ouverture tardive rappelle la puissance de la parole citoyenne, mais aussi l’urgence de repenser notre manière de faire vivre la démocratie.
Il aura fallu plus de cinq ans pour que les quelque 16 000 cahiers de doléances, rédigés dans plus de 10 000 communes au plus fort du Grand Débat national de 2019, soient enfin ouverts à la lecture et mis à disposition par les Archives nationales. Ces pages, souvent manuscrites, sont le reflet d’un moment rare : celui où une partie du pays, en colère, s’est fait entendre autrement que dans les urnes, par la rue ou dans les sondages.
Ces cahiers sont aussi un témoignage brut, parfois abrupt même, empli tantôt d’espérance, tantôt d’intolérance. Ils contiennent les mots précieux d’une démocratie qui cherche à se réinventer. Plus de 1,5 million de contributions, tous supports confondus, ont été recensées. Ce fut une mobilisation massive, nourrie par la crise des Gilets Jaunes mais qui a dépassé largement la contestation de l’hiver 2018-2019. Il y avait là un besoin d’expression, de reconnaissance, d’écoute, de changement.
Mais ces cahiers de doléances sont surtout le symbole d’une promesse déçue, tant cette démarche collective et massive n’a débouché sur rien. L’effervescence du Grand Débat, lancée à grands renforts de communication afin d’éteindre un incendie social devenu incontrôlable, s’est évaporée. Les propositions ont été vaguement synthétisées, à peine débattues, et encore moins traduites politiquement. Pendant cinq ans, ces milliers de cahiers et toutes les contributions gravées sur les écrans ou le papier sont restés enfermés, comme si l’on craignait ce qu’il pourrait en ressortir. Pourtant, ils racontent bien des maux qui traversent aujourd’hui notre pays, ils expriment les sentiments de déclassement et d’injustice qui en découlent…
Consulter, c’est bien, mais en l’absence de méthode claire et définie dès le départ, l’effet déceptif s’en retrouve décuplé : le citoyen a l’impression que sa parole n’est pas écoutée. Ce fut le cas de la Convention Citoyenne pour le Climat, lancée en 2019. En enfermant ces cahiers de doléances pendant des années, le Président de la République a, une nouvelle fois, distendu le maigre fil qui relie les citoyens avec leurs représentants. Plus largement, l’exécutif a porté atteinte aux espoirs en un processus démocratique renouvelé.
L’ouverture des cahiers en ce mois de mai 2025 ne réparera pas ce rendez-vous manqué. Mais elle peut devenir le point de départ d’une autre méthode de consultation du peuple, plus humble, plus cohérente, plus continue. La participation citoyenne ne remet pas en cause la légitimité représentative des élus. Les deux procédés sont complémentaires, mais leur articulation doit être repensée, réinventée et encadrée. Il ne s’agit pas d’ériger un mausolée à la contestation, mais de bâtir enfin les conditions d’un dialogue exigeant entre les citoyens et ceux qui les représentent.
Cela demande du temps, de la clarté, et une volonté politique forte. Nous ne régénérerons pas la démocratie sans être plus respectueux de l’expression de nos concitoyens.
L’équipe de La République en Commun